Flotter. Frôler le sol. Glisser comme sur une planche supersonique à ras-le-sol. Incapable de m’arrêter, de poser le pied, puis l’autre, sur le sol pour prendre pied. C’est un peu ainsi que je me sens depuis quelques temps. Depuis que je sais que je vais revenir m’installer au Québec alors que j’ai hésité à retourner vivre en Suisse, vers ma famille et mes amis de jeunesse. Je décide de me réinstaller au Québec mais mes pieds ont de la peine à créer les racines nécessaires à mon installation. Explications.
M’installer en Suisse ou au Québec ?
En arrivant en Suisse du Sri Lanka le 4 avril dernier, après plus de six mois en voyage, j’ai vraiment eu envie de m’arrêter là, dans mes racines, ma famille, mes amis d’enfance. J’avais à la fois besoin d’arrêter d’aller ailleurs tout le temps et besoin de retrouver des liens que je n’ai pas au Québec, ces liens biologiques ou d’enfance/adolescence que j’ai retrouvés il y a quelques années seulement (j’ai immigré au Québec à l’âge de 24 ans en 1986).
J’ai longuement discuté avec des amis et cousins. J’ai réfléchi aux possibilités qui pourraient s’ouvrir à moi si je retournais vivre en Suisse. Je n’arrivais pas à me décider. Je voyais bien que je devrais repartir quasi à zéro là-bas et que je n’ai absolument pas les moyens d’y vivre actuellement.
La décision finale a été prise quand mon cousin, nouvellement arrivé au Canada, m’a clairement écrit ceci : « Sache que de vivre en Suisse est horriblement cher et cela ne fait que renchérir chaque année. Bientôt, seuls les riches pourront y vivre et je suis certain que tu auras une meilleure qualité de vie au Québec. Et cela malgré les longs et froids hivers ».
J’ai donc pris l’avion avec la décision de me trouver mon chez-moi et recréer ma vie au Québec tout en continuant de voyager. J’ai besoin d’un pied-à-terre fixe et je m’arrangerai pour le loyer quand je serai en voyage. Je compte bien continuer à partir quelques mois par an au chaud durant notre hiver. Je sous-louerai si besoin. Voilà. Je préfère être mode solution que mode problèmes.
Des racines et des ailes
Pour quelle raison première avais-je envie de retourner vivre en Suisse ? La réponse première : la profonde gentillesse des gens qui me touche toujours beaucoup droit au coeur et ça me fait du bien. C’est comme si, là-bas, je me sens accueillie, appréciée et même aimée alors qu’au Québec, pas vraiment. Pourtant, j’ai plusieurs bons amis que j’aime et qui m’aiment…
Quelque chose a commencé à mijoter dernièrement dans ma tête et mon coeur car, en décidant de revenir vivre et m’installer au Québec, je voulais aussi savoir pourquoi j’y « flotte » sans pouvoir m’y ancrer et ce, depuis plus de 30 ans. J’y vis mais, bien sûr, je n’y ai pas de racines aussi fortes qu’avec l’Europe et je sens que je pourrais aller vivre n’importe où. Je n’ai, finalement, pas vraiment de racines.
Mais les ai-je jamais créées, ces racines ? Non… effectivement, je ne les ai jamais posées, ancrées, créées, ces racines où on se dit qu’on est chez soi et qu’on n’a plus envie de s’en aller, où on sent qu’on est à notre place et bien chez soi.
En tant que locataire, par exemple, je n’ai jamais pu vraiment créer un chez-moi à mon image. Le rêve d’avoir MA maison est toujours là et j’espère pouvoir le réaliser d’ici deux ans. J’ai envie de me sentir vraiment chez moi.
Ancrage manquant
Tout le monde (touristes et immigrants) dit que les Québécois sont tellement accueillants et chaleureux ?! C’est vrai qu’ils le sont et qu’ils sont gentils.
Alors pourquoi je ne le ressens pas comme en Suisse ou en France ?
Il y a bien sûr la reconnaissance culturelle et éducationnelle qui me rallie plus facilement avec des européens. Les relations sociales me sont plus faciles mais cette réponse ne me suffisait pas. Il y avait une autre raison derrière…
Cela fait bientôt 33 ans que je vis au Québec. Je me suis rendue compte dernièrement que je ne m’y suis jamais ancrée. Je ne me suis jamais acheté de maison. J’ai toujours été locataire. J’ai passé huit ans à Montréal, cinq dans les Laurentides, trois ans à Québec avant de venir vivre sur la réserve indienne de Wendake en 2003. Concours de circonstances. Je me suis toujours laissé guider par la vie qui m’a amenée par-ci par-là. Je choisissais sans vraiment choisir.
Quand j’avais cinq ans, ma mère s’est mariée avec un homme qui l’a prise pour sa chose et il m’a tassée car il voulait avoir ma mère à lui tout seul. J’ai donc grandi dans une chambre, mon espace, sans jamais sentir que j’étais chez moi… et je le recrée depuis. Je suis de passage partout, à plus ou moins long terme.
Une autre raison de ne pas m’ancrer au Québec
Quand je suis arrivée au Québec en 1986, je n’étais pas du tout la femme que je suis aujourd’hui. Tout en sentant beaucoup de douceur à l’intérieur de moi, j’étais incapable de l’exprimer. La violence verbale et physique vécue avec le beau-père jusqu’à l’âge de 18 ans m’avait éduquée à parler agressivement et de façon très souvent blessante et ce, malgré moi. Je me voyais faire du mal alors que je ne le voulais pas mais je ne savais pas comment être ni parler autrement. Il faut dire que je suis franche et directe mais une énergie inconsciente de colère et d’agressivité teintaient mes propos, ce qui envenimait les choses.
Bien sûr, les Québécois qui me côtoyaient, tous très gentils et n’ayant aucune violence en eux, me faisaient des remarques gentiment parfois, n’aimant pas être bousculés ainsi, et/ou sortaient de ma vie. D’autres m’ont carrément fait mal. Ouvertement mais plus souvent hypocritement. Tellement mal que j’ai fini par ne plus m’exprimer et ce, pendant plus de 25 ans. J’ai vécu dès lors une vie solitaire émotionnellement tout en faisant beaucoup de thérapies pour sortir de cet espace très dur à vivre. Je voulais tout faire pour sortir de cet enfer que je sentais ne pas être moi dans mon essence.
J’ai guéri un lourd passé de cette vie-ci mais aussi, beaucoup de liens transgénérationnels et de karmas difficiles, sans compter des sorts récoltés alors que j’étais bébé en Afrique. Ça a pris des années avant que j’arrive enfin à me sentir libérée de tout ça et « correcte », pour ne plus risquer, ou très peu, de blesser quelqu’un qui ne le mérite pas.
Chaque jour, je me sens encore en apprentissage. Je fais attention à comment je parle, les mots et le ton mais, surtout, dans quelle énergie car c’est elle qui passe à 80% dans une communication. Le saviez-vous ? C’est pour ça qu’on peut avoir l’impression d’avoir dit une chose toute simple et anodine et voir notre interlocuteur se sentir agressé, blessé, en colère…
Le miroir de la gentillesse
En repensant à ces circonstances, j’ai ainsi compris pourquoi je n’avais jamais pu m’ancrer au Québec – ou ailleurs -, et pourquoi je me sentais toujours de passage dans la vie des gens et dans des lieux.
En me fermant aux gens de peur de leur faire du mal, en vivant sans Vivre, au Québec, je me suis empêchée de me mettre en liens avec les gens. Je n’ai pas laissé leur gentillesse m’atteindre, cette même gentillesse qu’on peut vivre dans tous les pays que je connais. Je ne pouvais donc pas la ressentir puisque je ne m’autorisais pas à la recevoir.
Alors, depuis mon retour au Québec, je fais chaque jour des exercices pratiques pour réapprendre à me remettre en lien avec les gens, avec le sourire et des gentils mots comme ceux que j’aime entendre. Que ce soit à l’épicerie, à la boulangerie, dans la rue ou avec mes amis, je réapprends à montrer ma douceur, ma gentillesse et mon sourire.
A chaque fois, le retour est égal ou encore plus gentil et souriant et ça me touche droit au coeur. Petit à petit, je laisse entrer ces moments de douceur et mon coeur s’ouvre à nouveau doucement. Je ne me rendais pas compte à quel point je l’avais fermé. Réflexes d’enfant en train de guérir…
Je me sens au début d’un nouvel apprentissage, celui de partager ma gentillesse avec la gentillesse de tout le monde car, au fond de soi, tout le monde est fondamentalement bon et gentil. Je l’ai toujours cru et je sais qu’en l’étant moi-même, alors je l’attire.
Ma religion est très simple. Ma religion est la gentillesse.
– Dalai Lama
Gentilles invitations
Quand j’étais en Suisse, étudiante à l’université, j’habitais dans studio avec cuisine séparée. La porte était toujours ouverte aux voyageurs de passage et aux amis et j’aimais tellement ça. Combien de repas avons-nous partagés, tous collés autour de la table de ma petite cuisine ?! Des dizaines, avec tellement de plaisir, sans compter tous les québécois et amis qui passaient à la maison et y séjournait parfois une nuit, parfois plus. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai connu mon mari québecois (nous nous sommes séparés trois ans plus tard).
Arrivée au Québec, ça a été très dur de me retrouver dans un beau grand appartement (à l’époque, on pouvait se payer un bel appartement sans payer une fortune)… seule. Si je n’invitais pas les amis (bien à l’avance ! Rien de spontané), personne ne venait me voir alors que, quand je passais dans le quartier d’amis, je pouvais m’arrêter spontanément pour aller dire bonjour. Jusqu’au jour où un ami m’a carrément dit que ça ne se faisait pas, que ça dérangeait et que c’était irrespectueux.
Les bras me sont tombés, comme on dit au Québec. J’étais sidérée d’entendre ça. « C’est ainsi que ça marche au Québec ? » me suis-je demandé. Eh oui, j’en ai fait la difficile expérience. Je me dis que si j’avais habité dans un village, j’aurais probablement vécu plus de spontanéité et de social mais j’étais en plein Montréal.
Ce que je trouve donc difficile au Québec, encore aujourd’hui, c’est que, dans 90% des cas, si je ne fais pas coucou à quelqu’un, on ne me fera pas la surprise d’un coucou pour me demander des nouvelles et on ne m’invite à peu près jamais. Par contre, si je fais coucou, alors on me répond et on discute avec plaisir. Si j’annonce ma venue, alors on passe de très bons moments ensemble.
Je me retrouve presque toujours à être l’instigatrice de temps avec mes amis. C’est une de mes qualités depuis toute jeune, d’organiser et rallier mais, des fois, j’aimerais moi aussi être invitée sans avoir à organiser. Est-ce parce que je ne me laisse pas encore aimer vraiment que je ne reçois pas ça ?
Étant seule, sans famille au Québec, j’ai toujours pensé que c’était parce que les gens sont en famille, dans leur monde depuis leur naissance, et l’électron libre que je suis n’en fait pas partie.
Premier ancrage posé
Je me suis acheté une jolie voiture d’occasion, avec paiements mensuels sur cinq ans, une Kia Soul (qui veut dire âme). Première étape de ma réinstallation officielle au Québec.
Il me reste à trouver le logis. Les loyers sont très chers et je vais aller habiter avec une amie. A 56 et 60 ans, on va faire de la colocation pour pouvoir vivre dans un logis agréable. Même jeune, je ne l’ai pas fait (car le pouvoir d’achat était pas mal plus haut et les loyers pas mal plus bas) mais aujourd’hui, je n’ai plus l’énergie de travailler comme une dingue pour payer un loyer.
« M’enfin », comme dirait Gaston Lagaffe, ce qui compte, c’est de vivre avec son coeur et avec plein de gentillesse. Qu’en pensez-vous ?
Je vous souhaite des journées remplies de douceur, de joies et de gentillesse…
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De tout coeur
© Dominique Jeanneret
Thérapeute psychocorporelle et énergétique, accompagnante psycho-spirituelle
© Reproduction interdite – texte et photos – sous n’importe quelle forme, en tout ou partie, sans mon autorisation.
bonjour chère Dominique que j’ai envie de rencontrer,merci pour ce témoignage, qui m’interpelle aussi dans sa réalité, moi je me pose la question est-ce que cela vient vraiment de nous ou bien il y a un certain repli de la population actuelle, une volonté de se protéger, je vis au quotidien ce dont vous avez témoigné quand je vais vers les autres, je suis bien accueillie, parfois juste devant la porte mais si je ne fais pas la démarche , on se salue seulement dans les escaliers, je ressens plutôt parfois une certaine pudeur,ne pas déranger, surtout aussi ne pas se livrer tout va toujours très bien ! faire bonne figure ! j’ai vécu cela dans ma famille maternelle toujours faire comme si tout allait bien ! J’ai appris à vivre avec cette solitude, y trouver un sens et remercier pour chaque moment de partage même si c’est avec une personne inconnue, ce qui m’arrive régulièrement, peu sont les personnes avec qui je peux être complètement moi-même, tant cela dérange quand tout n’est pas conforme à l’image que beaucoup de gens veulent donner de leur vie mais cela ne m’empêche pas d’être authentique et de vivre chaque moment pleinement,et aussi d’aller vers les personnes entières avec qui je peux rire, pleurer être en colère , partager simplement notre quotidien. Moi j’ai choisi et je me sens chez moi de vivre dans le pays de mon arrière grand-père dont j’ai appris l’existence et la nationalité par hasard sur une feuille d’un de mes cahiers, l’Allemagne, le nom avait été écrit par sa fille ma grand -mère qui n’a pas été reconnue. Cet homme était allemand, il a connu mon arrière grand-mère à Madagascar, il a été arrêté au début de la première guerre mondiale et c’est resté un secret de famille, sauf que moi je raconte à tout le monda mes origines et j’en suis fière, Bon courage et au plaisir de vous rencontrer. Marie
Merci beaucoup Marie pour ce partage qui me touche. On a tous notre histoire, souvent cachée…
Tel que vous, je pense que notre monde est blessé et se replie pour ne plus l’être alors que nous devrions justement s’ouvrir mais avec du coeur et non plus de l’agressivité. C’est ce que je veux faire chaque jour.
Une rencontre sera avec plaisir 🙂
Bonne continuation avec des sourires
Merci Do pour ton partage qui ma beaucoup touchée. Je ne pensais pas que tu vivais ces difficultés, je n’aurais jamais pu deviné. Tu sembles si sûr de toi, partout et dans tout…Ton partage me rejoins sur plusieurs points.
Merci !
Merci chère, on ne se connait pas tant que ça, dans le fond ;-))
Au plaisir de te revoir !