Noisette et Chocolat

L’histoire d’un rêve réalisé…

Il était une fois à Montréal une boutique de vêtements d’enfants qui s’appelait Baobab…

Montréal, un jour d’été 1990

Depuis l’âge de cinq ans, je tricotais, cousais, crochetais, tissais, brodais… Un jour, quand j’étais petite, j’avais rêvé de pouvoir un jour vivre de mes créations.

La boutique Baobab, sur la rue Duluth près de St-Denis à Montréal, était alors à vendre depuis un an. Je passais devant souvent puisque j’habitais à côté. Chaque fois que je passais devant, je voyais les modèles en vente que je ne trouvais pas très originaux. Surtout les couleurs, fades et tristes le plus souvent. Idem dans une autre boutique de vêtements d’enfants sur la rue St-Denis pas très loin.

Les bouboules, mon article-phare, qui a été vendu à des centaines d’exemplaires et jamais copié !

C’est à cette époque que j’ai imaginé un modèle de pyjama coloré et arrondi, un « bouboule », pour des amis qui venaient d’avoir un bébé. J’en ai fait ensuite d’autres que j’ai donnés. Les mamans adoraient le modèle facile à mettre à leur bébé.

A force de passer devant Baobab et sa vitrine qui n’attirait pas grand-monde, j’ai décidé un jour d’aller demander à la propriétaire de Baobab si elle voulait vendre des bouboules, ce qu’elle a accepté.

Ils se sont vendus rapidement. Bien plus vite que le stock de la boutique. Je me suis mise à en faire plusieurs par semaine. La propriétaire, Céline, m’appelait presque tous les jours pour m’en commander… jusqu’au jour où elle me proposa d’acheter la boutique car elle ne vendait quasiment que des bouboules !

Je n’avais jamais pensé à me mettre en affaires. C’était un monde qui m’était totalement inconnu et bien lointain et quelque peu apeurant. On est en mai 1990.

Petit retour en arrière, en février : j’étais au chômage depuis janvier. J’avais démissionné de mon poste d’adjointe à l’attachée de presse de la STCUM après 8 mois d’enfer à travailler avec des syndiqués et je n’avais aucune idée de ce que j’avais envie de faire. Je passais presque chaque jour devant Baobab et je me disais que cette petite boutique pourrait avoir bien plus belle allure…

En marchant un jour sur la rue, à quelques pas de cette boutique, je me suis demandée ce que j’avais vraiment envie de faire dans la vie au niveau professionnel. La réponse m’est venue très clairement à l’esprit : avoir un emploi où je suis heureuse et sans patron sur la tête. Ça ne me disait pas dans quel domaine professionnel mais l’idée était intéressante. J’ai continué mon chemin en « oubliant » cette réponse qui est restée dans un coin de ma conscience.

Donc, Céline me propose d’acheter sa boutique…

Je suis rentrée à la maison, en ai parlé à mon conjoint et ai appelé ma mère qui ont tous les deux trouvé l’idée très chouette. Je n’avais aucune idée de ce dans quoi j’allais m’embarquer mais quelque chose me disait que j’en avais envie.

A cette époque, j’étais beaucoup plus inconsciente et innocente qu’aujourd’hui. Je me faisais confiance et je faisais confiance totalement à la vie et à mon intuition. Je n’avais que mon chômage et aucun plan d’affaires. Juste des idées et du plaisir à créer.

Je me lance !

316, rue Duluth, Montréal, la première boutique-atelier

Avec le succès que les bouboules avaient chez Baobab et les encouragements de mon entourage, je me suis finalement lancée, en septembre 1990, dans cette belle aventure qui prit très vite une ampleur que je n’aurais jamais imaginée !

Ma mère m’avait prêté 4000 $ et j’avais pour 4000 $ de stock dans la boutique. Heureusement, j’avais pu me mettre sur un programme avec le chômage qui m’a permise de vivre les premiers mois sans m’endetter plus.

J’ai repeint la devanture, ajouté une enseigne, refait la vitrine et les aménagements intérieurs.

Le truc de mon succès ? Des bouboules de toutes les couleurs (les clientes étaient tellement contentes de voir des couleurs !), très faciles à habiller les bébés, et la confection sur place qui me permettait de répondre à des demandes de clients dans les deux jours lorsqu’il manquait une taille ou une couleur désirée… Je fabriquais sur place !

J’ai rapidement décliné le bouboule en barboteuses, robes, etc…

Mon rêve d’enfant s’était réalisé !

L’atelier en arrière de la boutique de la rue Duluth.

Débarquant dans le domaine – j’avais travaillé dans le domaine médical puis dans le journalisme -, j’ai dû vite tout apprendre : la création industrielle (je créais de façon artisanale au début), la vente et l’administration d’une entreprise. J’ai eu la chance de rapidement rencontrer une personne qui m’a montré la production industrielle et qui m’a aidée beaucoup et fut ma première couturière.

Noisette et Chocolat a été rentable dès son ouverture et a grandi très vite. Au début, je faisais tout moi-même, à la main avec ma petite machine à coudre de maison. La production a commencé dans l’arrière-boutique de la rue Duluth, puis des couturières indépendantes (qui travaillaient chez elles) sont venues s’ajouter, ainsi qu’une vendeuse, puis deux…

Une magnifique magie a opéré dès que j’ai décidé d’ouvrir cette boutique. Tout arrivait toujours pile au bon moment. Des synchronicités incroyables, des rencontres parfaites, des partages idéaux… Je suivais mon intuition, demandais à l’univers qui répondait rapidement.

Au-delà de la production et de la boutique, j’ai été invitée à un programme de Femmes vers le Sommet où j’ai eu une mentor pendant une année et des rencontres menuselles avec les autres femmes du programme. J’ai suivi un cours pour entrepreneurs au Cégep de St-Jérôme, etc…

De toute seule à tout faire – du dessin du modèle à chercher les tissus et les accessoires, trouver les fournisseurs en gros, les couturières, faire le patron et le grader en plusieurs tailles, la coupe, la finition, l’étiquetage et la décoration de la boutique, sans oublier la vente et l’administration – mon équipe de travailleurs autonomes a grandi doucement mais sûrement.

Spécialisée dans les tailles 0-6 ans, j’ai dû monter jusqu’à la taille 12 ans, pour certains modèles, suite à la demande des clients.

Des clients découragés car ils ne trouvaient pas ce qu’ils voulaient ailleurs venaient me voir pour que je crée des modèles de vêtements spécialisés, notamment pour le plein-air, car ils n’en trouvaient pas dans les autres magasins pour enfants. C’est ainsi que j’ai créé des lignes de vêtements qu’on ne trouvait pas ailleurs.

Vendre en gros ?

Afin de compléter l’offre dans ma boutique, j’achetais aussi des vêtements complémentaires comme des salopettes, des chaussettes, etc. Les représentants de ces vêtements me demandaient, chaque fois qu’ils venaient me voir, quand est-ce qu’ils pourraient représenter Noisette et Chocolat car ils adoraient ce que je faisais et étaient sûrs de son succès dans la vente en gros.

Je me suis alors informée pour savoir comment fonctionne ce monde de la production en gros et j’ai laissé tomber tout de suite : une année d’avance pour commander les tissus, sans compter les investissements énormes et la place nécessaire à l’entreposage. Je n’avais pas les moyens ni l’espace pour ça mais, surtout, j’aimais créer au fur et à mesure de mes trouvailles de tissus chez les «jobbers» chez qui j’allais régulièrement. Plusieurs d’entres eux – mes principaux – étaient juifs et j’ai eu beaucoup de plaisir à marchander avec eux. Je finissais toujours par avoir des prix qui me convenaient et nous terminions toujours nos négociations avec le sourire.

Marketing

Tous les 2-3 mois, je publiais un petit bulletin entièrement créé et édité par moi-même. Il parlait des collections à venir, des soins à apporter aux vêtements, etc. C’était mon seul outil marketing avec mes cartes d’affaires que je déposais dans tous les restaurants et magasins où je passais. Distribué aux clients et dans les garderies du quartier, le petit bulletin et mes cartes d’affaires m’apportaient bien plus de clientèle que n’importe quelle autre pub dans des journaux pourtant axés sur ma clientèle (j’en ai fait la coûteuse expérience !). Ces bulletins étaient auto-financés par de la pub de certains de mes fournisseurs et par l’imprimeur.

Les petits bulletins trimestriels distribués aux clients

Par ailleurs, des photographes de mode venaient parfois m’emprunter des vêtements pour faire des photos – ex : l’Essentiel – ou habiller des bébés dans des films, notamment pour la série « Chambres en ville ».

A côté de mon «travail», qui était plus un plaisir qu’autre chose, j’ai dépensé plusieurs milliers de $ en thérapies et formations en croissance personnelle, énergétique, etc. Je n’ai alors jamais manqué de temps ni d’argent… jusqu’en 1994.

A cette époque, je ne calculais pas. Je prenais dans la caisse quand j’avais besoin et le chiffre d’affaires augmentait tout le temps. Je vivais agréablement. Ça a commencé à se gâter quand j’ai commencé à calculer…

Ste-Adèle et St-Jovite (Laurentides)

Décembre 1993, j’ouvre une deuxième boutique à Ste-Adèle sur les conseils de mon conjoint d’alors (premier conseil que je n’aurais pas dû suivre, ne collant pas à 100% avec mon intuition), boutique que je déménage dans un plus grand local en juillet 1994, toujours au village, où la manufacture prend alors place en arrière.

En juillet 1994, je réalise un autre rêve : je déménage à St-Sauveur et sors ainsi de la ville. Ma vendeuse à Montréal devient la gérante à temps plein, que je congédierai quelques mois plus tard car elle a profité de mon absence pour se servir dans la caisse.

Gao Design Inc., l’entreprise manufacturière produisant la ligne Noisette et Chocolat, est née en décembre 1994. Son but : vendre en gros (en petites quantités et directement aux boutiques, ce que je n’ai finalement presque pas fait).

Des employés et contractuels sont engagés : patroniste, couturières, vendeuses… En tout, plus d’une douzaine de personnes réparties entre Montréal et Ste-Adèle puis, plus tard, St-Jovite, la 3e boutique. Une belle équipe avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à créer et vendre mes produits.

Une partie de la manufacture de Ste-Adèle, en arrière de la boutique, avec Marie-Eve – qui deviendra la gérante de la boutique de Montréal – et Anne, la patroniste.
A l’atelier de Ste-Adèle avec une partie de l’équipe

Seule propriétaire, designer, directrice artistique, responsable des ressources humaines, des achats, de l’administration, des communications et du marketing, je courre entre Montréal (où j’avais une gérante merveilleuse, Marie-Ève !), Ste-Adèle (la manufacture et boutique) et St-Jovite (la boutique), sans compter les achats à Montréal et les couturières chez elles à Montréal et Ste-Adèle. La santé en prend un coup mais, surtout, je m’oublie… Je n’ai plus de temps pour moi et l’argent ne rentre plus en quantité suffisante…

Prise dans ce tourbillon de choses à faire, je ne suis (suivre) plus mon intuition, celle qui m’a permise de toujours prospérer, et écoute l’avis de personnes qui ne collent pas à mon intuition et m’amènent à faire mauvais choix : j’engage de mauvais employés, j’écoute et mets en place de mauvais conseils, etc… La spirale descendante commence et je passe mes journées à monter des plans financiers pour la banque, demandes de subventions, etc. Je ne suis plus du tout dans ce qui m’anime et a toujours fait que l’abondance entrait : la création. Je passe mon temps à administrer, gérer et écouter les problèmes de mes employés qui me sont précieux sauf que mon bureau était aussi devenu un bureau de consultation psy.

Dès le début de la boutique-manufacture de Ste-Adèle, celle-ci mange les profits de la boutique de Montréal et l’argent commence à se faire rare. Deux conseillères financières entrent alors dans le décor et me promettent mer et monde si j’arrive à trouver un financement de 40 000 $, que je trouve dans ma famille. Je réinvestis, croyant en leurs promesses d’un investissement égal, promesses qui n’ont jamais été honorées : le monde de la «guenille» n’est pas solvable pour les banques, surtout pas à la grandeur de ma compagnie, même si j’avais de bons résultats avec la boutique de Montréal.

Épilogue…

Crise de croissance manquée et faillite en mars 1996. N’eût été de ces conseillères financières véreuses (j’ai appris plus tard qu’une des deux étaient alcoolique), je serais encore en affaires aujourd’hui car c’est le métier que j’avais alors le plus aimé de toute ma carrière professionnelle.

Un beau rêve venait de s’éteindre mais sans regrets car j’ai eu l’occasion de vivre, durant ces six ans, une expérience extraordinaire où j’ai rencontré des gens merveilleux, que ce soit mes employés, mes clients ou mes fournisseurs, et où j’ai appris énormément sur la vie.

J’ai gardé tous mes patrons jusqu’en 2014. Je ne pouvais pas me résoudre à les donner et personne n’a voulu acheter la collection. J’ai donné ma dernière machine à coudre, la surjeteuse que j’avais gardée, ainsi qu’une grosse boite de bobines de fils de toutes les couleurs, en août 2019 à une dame qui coud pour sa famille et pour les démunis. J’ai été très heureuse de lui donner considérant qu’elle va aider des gens dans le besoin.

J’ai gardé les patrons du Bouboule. Qui sait, des fois que j’aurais envie d’en refaire un jour ! 😉

J’ai appris que c’est en suivant son intuition à 100% qu’on réussit. De NE PAS la suivre si on a 1% de doute ! Que c’est en faisant ce qu’on aime que le succès arrive tout seul. Que c’est en prenant soin de son équipe qu’on grandit ensemble et l’entreprise avec.

Un grand MERCI à toutes les personnes qui m’ont permises de réaliser ce beau rêve !

Extraits de la revue de presse
Journal de Montréal, cahier Mode, 6 août 1991
L’Essentiel, décembre 1994,
L’Écho du Nord, 13 mars 1996

De tout coeur

Dominique Jeanneret